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Remplissage et poumon : des données fortes

Frédérique Schortgen - Réanimation Médicale - Hôpital Henri Mondor - Créteil

Le poumon est l’un des organes les plus exposés aux effets adverses du remplissage vasculaire. Le risque d’apparition ou d’aggravation d’un oedème pulmonaire est particulièrement important lorsque la perméabilité de la barrière alveolo-capillaire est augmentée. Limiter la filtration liquidienne à travers cette paroi doit donc être un objectif de la prise en charge des patients souffrant d’ALI/ARDS.

La loi de Starling indique que la situation dans laquelle la filtration liquidienne est la plus faible est l’association entre des pressions intracapillaire hydrostatique basse et oncotique élevée [1]. Les deux questions qui se posent en pratique clinique sont d’une part le bénéfice potentiel d’une stratégie de remplissage restrictive visant à limiter l’élévation des pressions hydrostatiques et d’autre part l’intérêt de l’utilisation d’un soluté de remplissage à fort pouvoir oncotique.

Risques et bénéfices d’une stratégie de remplissage restrictive. Les travaux expérimentaux de Staub ont permis de mettre en évidence le rôle prédominant de la pression hydrostatique intracapillaire dans la majoration d’un oedème pulmonaire en présence d’un trouble de la perméabilité [2].

En effet, les macromolécules pouvant librement filtrer à travers la paroi endothéliale, leur pouvoir oncotic intracapillaire est fortement réduit et ne permet plus de limiter la filtration qui devient très dépendante du gradient de pression hydrostatique. Dès la description du syndrome de détresse respiratoire aigu par Ashbaugh et collaborateurs en 1967, le rôle d’un « excès » de remplissage était évoqué dans les facteurs favorisant l’apparition de cette hypoxémie réfractaire [3].

Chez des patients souffrant d’insuffisance respiratoire aigue, des études anciennes et non contrôlées avaient permis de montrer qu’un bilan hydrique positif et des pressions de remplissage élevées étaient associés à un mauvais pronostic malgré l’ajustement sur la gravité des patients [4,5]. Plus récemment l’étude de cohorte SOAP retrouve que le bilan liquidien des 72 premières heures de réanimation est un facteur indépendamment associé à une surmortalité [6].

En 1992, Mitchell et collaborateurs sont les premiers à publier une étude prospective randomisée comparant une stratégie de remplissage restrictive basée sur la mesure de l’eau pulmonaire extra-vasculaire à une stratégie libérale chez des patients de réanimation avec insuffisance respiratoire aigue d’étiologies diverses [7].

Les patients chez qui le remplissage était limité et qui recevaient un traitement diurétique dès l’obtention d’une stabilité hémodynamique sans vasopresseur avaient une durée de ventilation et de séjour en réanimation inférieure à celles du groupe control. Cette stratégie de restriction liquidienne était cependant associée à une augmentation significative de la créatininémie. L’étude FACTT menée par l’ARDSnetwork et supportée par le NIH a repris ce concept de restriction du remplissage [8].

Contrairement à l’étude de Mitchell, les 1000 patients inclus dans l’étude FACTT présentaient un ALI/ARDS. Une double randomisation était effectuée : les patients étaient monitorés par une mesure de la PVC ou de la PAPO, et ils étaient réanimés avec une stratégie libérale de remplissage ou une stratégie restrictive (PVC <4 ou PAPO<8 mmHg). La mortalité qui était le critère principal de jugement n’était pas différente entre les deux stratégies de remplissage. Cependant, l’évolution des paramètres d’oxygénation était plus favorable et le nombre de jours sans ventilation artificielle était significativement plus important chez les patients ayant bénéficiés d’un remplissage restreint. Au cours des 7 premiers jours de l’étude, le bilan hydrique était quasi nul chez ces patients alors qu’il était de plus de 7 litres dans le groupe control. Concernant l’évolution de la fonction rénale, la nécessité de recourir à une épuration extra rénale était étonnement plus fréquente dans le groupe ayant reçu le plus de remplissage, peut être du fait d’une surcharge hydrosodée.

La réduction de la durée de ventilation est un point bénéfique qui incite à utiliser une stratégie de remplissage restrictive pour la pratique clinique quotidienne. Cependant une telle restriction doit être appliquée avec prudence en tenant compte du type des patients inclus dans l’étude FACTT et des modalités d’application du protocole.

1) A l’inclusion, les patients avaient été préalablement réanimés agressivement comme en témoigne les paramètres hémodynamiques montrant des valeurs quasi normales.

En effet les patients étaient inclus en moyenne 41 heures après le début du SDRA. Leur bilan hydrique était positif de plus de 2 litres avant inclusion. Il est important de rappeler qu’un remplissage précoce et agressif améliore la survie des patients sans effet néfaste sur la fonction pulmonaire [9]. La stratégie de remplissage restrictive testée dans l’étude FACTT était donc appliquée à une phase « tardive » de la réanimation, après une phase initiale de remplissage agressive.

2) Les patients inclus dans un essai randomisé sont le plus souvent sélectionnés par des critères d’exclusion stricts aboutissant à une population étudiées plutôt jeune et avec peu de comorbidités [10]. Les patients inclus dans le bras recevant le moins de remplissage avaient un taux d’urée significativement plus élevé mais ne nécessitaient pas plus fréquemment le recours à une épuration extra rénale ce qui indique une bonne tolérance de l’insuffisance rénale fonctionnelle induite par la restriction hydrique. Cette bonne tolérance suggère que ces patients étaient à faible risque de développer une nécrose tubulaire aigue.

3) L’indication des diurétiques utilisés dans le groupe restriction était déterminée par un algorithme décisionnel sophistiqué et basé sur une évaluation attentive de l’état hémodynamique des patients. L’objectif à atteindre était un état circulatoire normal avec des pressions de remplissage basses. Parmi les 18 situations hémodynamiques prévues par l’algorithme, un remplissage était cependant indiqué dans 8 d’entre elles. Existe il un bénéfice à l’utilisation des colloïdes pour améliorer la fonction pulmonaire et le pronostic des patients nécessitant une expansion volémique ? L’utilisation des colloïdes est fréquente, particulièrement en Europe. Cependant aucun argument dans la littérature ne permet de justifier que plus de 80% des réanimateurs choisissent un colloïdes en première intention pour traiter un état de choc [11].

L’utilisation d’un colloïde ne permet pas d’améliorer la fonction pulmonaire et le pronostic des patients. L’utilisation d’un colloïde pour augmenter le volume plasmatique ne permet pas de réduire le risque d’apparition ou d’aggravation d’un oedème pulmonaire, particulièrement en présence d’un trouble de la perméabilité capillaire. La perfusion d’un colloïde augmente plus la pression hydrostatique que la pression oncotique, ce qui en théorie aboutit à une augmentation de la filtration liquidienne pulmonaire.

Chez des patients présentant une inflammation systémique, l’utilisation de colloïdes à haut pouvoir oncotique n’a pas d’impact sur l’évolution de l’eau pulmonaire extra vasculaire comparées aux colloïdes hypooncotiques ou aux cristalloïdes [12,13]. L’étude SAFE comparant l’albumine à 4% à un cristalloïde chez 7000 patients admis en réanimation, ne montrait pas de différence sur l’évolution de la défaillance respiratoire et sur la durée de ventilation entre les deux groupes [14].

Les patients présentant un SDRA à l’inclusion avaient la même survie quel que soit le soluté utilisé. Dans une étude a posteriori récemment publiée, les auteurs ont évalués si l’utilisation de l’albumine pouvait avoir un bénéfice chez les patients hypoprotidémiques [15]. Dans une études de cohorte, ces patients ont en effet été montrés comme étant les plus à risque de développer un SDRA [16]. Les patients ayant un albuminémie<25g/l à l’inclusion dans l’étude SAFE étaient d’une gravité supérieure. Leur mortalité et leur durée de ventilation restaient identiques avec l’utilisation de l’albumine ou du soluté cristalloïde.

Dans une étude de cohorte prospective incluant un millier de patients admis pour état de choc nécessitant un remplissage, après analyse multivariée, l’utilisation d’un colloïde ne permettait pas de réduire l’apparition d’un SDRA au cours de la réanimation [17]. En revanche, le facteur le plus prédictif était le volume de remplissage utilisé. Bien qu’aucune étude n’ait clairement démontré que l’utilisation des colloïdes pouvait altérer la fonction pulmonaire du fait de leur filtration et de leur stagnation dans les alvéoles, les travaux expérimentaux de Matthay démontrent clairement que la clairance pulmonaire des macromolécules est beaucoup plus lente que celle de l’eau [18].

Les dangers des colloïdes Plusieurs études comparatives récentes et de qualité méthodologique peu contestable mettent en évidence les dangers des colloïdes allant jusqu'à une surmortalité. Chez les patients réanimés pour un polytraumatisme, une meta analyse déjà ancienne avait suggérait une association entre mortalité est utilisation d’un colloïde [19]. Dans cette même population, l’étude SAFE retrouve à nouveau une mortalité significativement supérieure avec l’utilisation de l’albumine lorsqu’il existe un traumatisme crânien [14].

Les effets secondaires rénaux des colloïdes pourraient expliquer aisément leur impact négatif sur la survie. Deux études prospectives randomisées chez les donneurs d’organes et chez des patients avec un sepsis sévère avaient retrouvé une sur incidence d’insuffisances rénales aigues avec l’utilisation d’un hydroxyéthylamidon (HEA 200 kDa/0.6) en comparaison à une gélatine [20,21]. Ces deux solutés ayant un pouvoir oncotique très différent, l’impact négatif sur la fonction rénale pouvait être lié soit à la nature chimique du soluté soit aux propriétés hyperoncotiques de l’HEA. En effet des dysfonctions rénales ont été décrites avec d’autres colloïdes hyperoncotiques comme l’albumine ou les dextrans [22,23].

Toujours selon la loi de Starling, l’augmentation de la pression oncotique dans la lumière du capillaire glomérulaire qui est imperméable à la filtration des macromolécules diminue la filtration glomérulaire [24]. L’autre question était de savoir si un poids moléculaire et/ou un degré de substitution de l’HEA plus faible permettait d’éviter les effets secondaire rénaux de ces produits, en sachant que le pouvoir oncotique des HEA dépend du nombre de particules osmotiquement actives et non de leur poids moléculaire et de leur degré de substitution in vitro.

L’étude multicentrique prospective randomisée VISEP menée en Allemagne chez des patients septiques et comparant l’utilisation d’un HEA (200kDa/0.5) au Ringer Lactate a récemment été suspendue après l’inclusion de 550 patients en raison de la surincidence des insuffisances rénales aigues dans le groupe HEA [25]. Il existait également une forte tendance à une surmortalité dans ce groupe. Dans une étude de cohorte prospective incluant un millier de patients admis pour état de choc nécessitant un remplissage, nous avons étudié par analyses multivariées l’impact rénal du type de soluté de remplissage utilisé : solutés cristalloïde, colloïdes hypooncotiques (albumine à 4% et gelatine), colloides hyperoncotiques (HEA, dextrans, albumine à 20% et plasma).

Seuls le choix d’un colloïde hyperoncotique pour l’expansion volémique était associé à l’apparition d’une insuffisance rénale aigue et également à mortalité significativement plus élevée [26]. Conclusion La stratégie de remplissage (« poumon sec ou humide ») a un impact sur l’évolution des patients avec, ou à risque de développer, un oedème pulmonaire. L’application d’une stratégie de restriction du remplissage pourrait être bénéfique en pratique clinique mais son utilisation doit être prudente et raisonnée. Une telle stratégie ne concerne pas la phase aigue de la réanimation d’un état de choc hpovolémique.

Après stabilisation hémodynamique, l’obtention d’un bilan hydrique nul pourrait être un objectif simple pour la pratique clinique. Aucune étude clinique comparative ne permet de supporter un bénéfice pulmonaire à l’utilisation des colloïdes pour réaliser une expansion volémique. A l’inverse, plusieurs études récentes montrent des effets secondaires rénaux et une surmortalité des patients réanimés avec les colloïdes hyperoncotiques.

Références

1. Schortgen F (2001) Fonction pulmonaire et solutés de remplissage vasculaire. Réanimation 10:35 2. Staub NC (1978) Pulmonary edema: physiologic approaches to management. Chest 74:559-564. 3. Ashbaugh DG, Bigelow DB, Petty TL, Levine BE (1967) Acute respiratory distress in adults. Lancet 2:319-323. 4. Humphrey H, Hall J, Sznajder I, Silverstein M, Wood L (1990) Improved survival in ARDS patients associated with a reduction in pulmonary capillary wedge pressure. Chest 97:1176-1180 5. Schuller D, Mitchell JP, Calandrino FS, Schuster DP (1991) Fluid balance during pulmonary edema. Is fluid gain a marker or a cause of poor outcome? Chest 100:1068-1075. 6. Vincent JL, Sakr Y, Sprung CL, Ranieri VM, Reinhart K, Gerlach H, Moreno R, Carlet J, Le Gall JR, Payen D (2006) Sepsis in European intensive care units: results of the SOAP study. Crit Care Med 34:344-353 7. Mitchell JP, Schuller D, Calandrino FS, Schuster DP (1992) Improved outcome based on fluid management in critically ill patients requiring pulmonary artery catheterization. Am Rev Respir Dis 145:990-998. 8. Wiedemann HP, Wheeler AP, Bernard GR, Thompson BT, Hayden D, deBoisblanc B, Connors AF, Jr., Hite RD, Harabin AL (2006) Comparison of two fluid-management strategies in acute lung injury. N Engl J Med 354:2564-2575 9. Rivers E, Nguyen B, Havstad S, Ressler J, Muzzin A, Knoblich B, Peterson E, Tomlanovich M (2001) Early goal-directed therapy in the treatment of severe sepsis and septic shock. N Engl J Med 345:1368-1377. 10. Dreyfuss D (2005) Is it better to consent to an RCT or to care? Muetadeltaepsilonnu alphagammaalphanu ("nothing in excess"). Intensive Care Med 31:345-355 11. Schortgen F, Deye N, Brochard L (2004) Preferred plasma volume expanders for critically ill patients: results of an international survey. Intensive Care Med 30:2222-2229 12. Verheij J, van Lingen A, Raijmakers PG, Rijnsburger ER, Veerman DP, Wisselink W, Girbes AR, Groeneveld AB (2006) Effect of fluid loading with saline or colloids on pulmonary permeability, oedema and lung injury score after cardiac and major vascular surgery. Br J Anaesth 96:21-30 13. Molnar Z, Mikor A, Leiner T, Szakmany T (2004) Fluid resuscitation with colloids of different molecular weight in septic shock. Intensive Care Med 30:1356-1360. Epub 2004 May 1354. 14. The SAFE Study Investigators (2004) A Comparison of Albumin and Saline for Fluid Resuscitation in the Intensive Care Unit. N Engl J Med 350:2247-2256 15. (2006) Effect of baseline serum albumin concentration on outcome of resuscitation with albumin or saline in patients in intensive care units: analysis of data from the saline versus albumin fluid evaluation (SAFE) study. Bmj 16. Mangialardi RJ, Martin GS, Bernard GR, Wheeler AP, Christman BW, Dupont WD, Higgins SB, Swindell BB (2000) Hypoproteinemia predicts acute respiratory distress syndrome development, weight gain, and death in patients with sepsis. Ibuprofen in Sepsis Study Group. Crit Care Med 28:3137-3145. 17. Schortgen F, Bastugi-garin S, Deye N, Brochard L (2005) Impact of fluid strategy on the incidence of secondary ARDS in patients with shock. Intensive Care Med 31 suppl 1:(abstract) 18. Matthay MA, Berthiaume Y, Staub NC (1985) Long-term clearance of liquid and protein from the lungs of unanesthetized sheep. J Appl Physiol 59:928-934 19. Choi PT, Yip G, Quinonez LG, Cook DJ (1999) Crystalloids vs. colloids in fluid resuscitation: a systematic review. Crit Care Med 27:200-210. 20. Cittanova ML, Leblanc I, Legendre C, Mouquet C, Riou B, Coriat P (1996) Effect of hydroxyethylstarch in brain-dead kidney donors on renal function in kidney-transplant recipients. Lancet 348:1620-1622. 21. Schortgen F, Lacherade JC, Bruneel F, Cattaneo I, Hemery F, Lemaire F, Brochard L (2001) Effects of hydroxyethylstarch and gelatin on renal function in severe sepsis: a multicentre randomised study. Lancet 357:911-916. 22. Druml W, Polzleitner D, Laggner AN, Lenz K, Ulrich W (1988) Dextran-40, acute renal failure, and elevated plasma oncotic pressure. N Engl J Med 318:252-254. 23. Gore DC, Dalton JM, Gehr TW (1996) Colloid infusions reduce glomerular filtration in resuscitated burn victims. J Trauma 40:356-360. 24. Moran M, Kapsner C (1987) Acute renal failure associated with elevated plasma oncotic pressure. N Engl J Med 317:150-153. 25. Reinhart K, Bloos F, Engel C, For the German Competence Network Sepsis (2006) Hydroxyethyl starch and ringer's lactate for fluid resuscitation in patients with severe sepsis: result from the VISEP study. Intensive Care Medicine 32:S213 26. Schortgen F, Bastugi-garin S, Deye N, Brochard L (2004) Impact of fluid choice on renal function in critically ill patients with shock. Intensive Care Med 30 suppl 1:S149 (abstract)





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